Quand il pleut enfin toute une nuit, après des semaines de sécheresse, c’est à elle que vont mes premières pensées. La forêt. Je suis soulagée. Je me dis qu’elle respire enfin, que l’eau ruisselante a pu étancher la soif des radicelles. Et par la magie de la vie, à l’autre bout de ces sculptures vivantes, les immenses houppiers de feuillages se sont probablement déjà redressés.
La forêt m’a tout offert. Les nuits silencieuses ou parfois bruyantes. Les promenades où je me suis perdue sans avoir peur. La fraîcheur pendant les canicules. Le ballet parfaitement orchestré des feuilles d’automne colorées. Le son des chouettes hulottes à la nuit tombée. La danse en accéléré des écureuils roux, curieux de ma présence. L’étreinte rassurante des esprits des arbres, venus m’assister pour méditer. Le renard. La biche. Le sanglier.
Elle est par endroits, une cathédrale, parfois une clairière, puis aussi un chantier de troncs arrachés par les tempêtes. Personne ne se plaint ici. Elle reste là, debout, témoin, et passeuse de sagesses anciennes.
Et elle est si généreuse.
En mars, la forêt me donne la sève de bouleau, qui, prélevée avec respect et soins, nettoie et purifie nos organismes malades de malbouffe et d’excès.
En avril, elle me force à m’accroupir pour découvrir ses nappes infinies de jacinthes des bois, et d’anémones sauvages.
En mai, elle m’offre ses fleurs de sureau, en lisière, pour fabriquer mon sirop, si délicat, si parfumé, et qui en met en joie.
En juin, dans l’ombre, elle me titille avec l’odeur de l’ail des ours, ses grandes feuilles mattes, et ses ombelles blanches succulentes, que je mets dans mes sandwiches.
En août, elle me tend ses mûres à profusion, qui tachent mes doigts, balafrent mes jambes, mais font mes meilleurs sorbets et les plus délicieuses confitures.
En octobre, elle me propose ses châtaignes, ses faînes, et autres noisettes, que je mange crues ou grillées à la poêle.
En novembre, elle me cache soigneusement ses cèpes, ses trompettes, et ses bolets. Puis me laisse les trouver dans un grand éclat de rire.
Elle est un hymne. Elle est un refuge. Elle est un paradis. Je m’y sens invitée et accueillie. Quand je lui prends quelque chose, je lui fais l’offrande d’un chant ou de graines pour la remercier. Ne soyons pas timides : il n’y a pas de honte à pratiquer un peu de spiritualité, et à remettre du sacré parfois au cœur de nos gestes.
Alors un conseil. Emmenez vos enfants jouer dans la forêt ! Laissez-les grimper aux arbres. Faire des cabanes. Se piquer les jambes dans les ronces et les orties. Laissez-les se frotter à cette nature sans garde-fou et sans QRcode. N’ayez pas peur qu’ils se blessent, qu’ils se salissent ou qu’ils tombent. Sachez que ce contact-là est indispensable à leur construction, à leur colonne vertébrale, à leur joie. Cueillez avec eux les fruits, ramassez les branches, découvrez les terriers. Ne prélevez que ce que vous allez consommer. Ne gaspillez pas. Apprenez avec eux les insectes, les oiseaux et les arbres. Réapprenez les saisons, les cycles et la terre. Ce sont des souvenirs inoubliables. Les premiers endroits où, tout jeune, l’on dompte sa peur, où l’on pactise avec l‘étrange et avec le mystère. C’est un cadeau que vous leur faites.