(Je ne parle pas ici de la définition botanique, mais bien de la définition paysagère.)
Mauvaise réputation
En France, les vivaces ont mauvaise réputation dans l’art des jardins. A la fois chez les propriétaires, qui pensent que la présence de vivaces signifie qu’ils vont crouler sous les travaux de désherbage, ou qu’elles vont mourir pendant l’hiver, mais aussi chez une grande partie des paysagistes, qui, disons-le, ne s’attardent pas beaucoup sur la question. En gros, chez les professionnels, il règne comme une ambiance « Les vivaces c’est sympa quand ça fleurit mais c’est quand même beaucoup de complications. » (Ce qui cache souvent une autre réalité : « Les vivaces, je n’y connais rien. »).
Il est vrai que dans une composition de massif, la vivace c’est souvent le détail, la mignonnerie, l’élément moins structurant (pas de bois), qui fane l’hiver (sauf pour les persistantes) puis qui redébarque au printemps, toute à sa joie. On ne peut pas vraiment compter sur elle pour « tenir » le jardin. Elle n’a pas vocation à occuper beaucoup d’espace, par contre, elle peut être redoutable pour remplir les trous entre les arbres et les arbustes ou venir égayer le premier plan. On pourrait la penser superflue, mais c’est pourtant en grande partie grâce à elle que l’on obtient ce que l’on appelle une composition, un tableau.
Asters, pivoines, rudbeckias, phlox, heleniums, gauras, échinacées, astilbes, lupins, veroniques, achillées, et des centaines d’autres espèces composent cette grande et belle famille des plantes vivaces. Leurs associations sont infinies. Leurs couleurs aussi. En témoigne notre livre Le Nuancier du Jardinier, qui classe des milliers de variétés par teinte.
Personnellement, j’aime les vivaces d’un amour fou… A tel point que quand dans certains de nos projets il n’y en a pas ou peu, je me sens comme désemparée.
Déclaration d’amour aux vivaces
Il y a mille raisons pour moi d’aimer travailler avec les vivaces. Je vous en partage quelques-unes.
La première, c’est leur hauteur : elles investissent, ce que nous appelons au jardin la strate basse ou moyenne. C’est-à-dire à hauteur d’homme, et de femme donc. Là où les arbres et les grands arbustes demandent à lever le nez pour apprécier leur splendeur ou leur parfum, les vivaces ramènent le jardin à échelle humaine, au cœur, aux yeux, aux narines, et aux mains. Elles sont donc l’élément le plus attachant, à notre portée, pour qui prend le temps d’admirer les choses de la vie.
La deuxième, c’est leur durée de floraison. Là où la grande majorité des arbres et arbustes ne fleurissent que deux malheureuses semaines par an (à part les rosiers), les vivaces (pour celles qui fleurissent) ont parfois des records de floraison de plusieurs mois. La palme revenant à certains géraniums vivaces, aux geums, aux achillées, et aux penstemons. Cette durée de mise en beauté maximale signifie qu’elles sont des atouts majeurs en termes de « vie » et d’âme dans les massifs. Elles animent la composition par la couleur, le parfum, la forme de leurs fleurs. Et peuvent même parfois rester charmantes, une fois fanées.
La troisième, c’est justement ce fameux éventail de couleurs. Pour qui aime jouer avec les plantes comme avec des pigments de peintre, les vivaces regroupent à elles seules la quasi-totalité des teintes disponibles dans la nature. Le rose étant la couleur la plus représentée, le bleu la plus rare. Pour donner du relief et de la profondeur, pour créer un moment de neutralité ou au contraire de théâtralité, pour réchauffer ou refroidir l’atmosphère, rien ne vaut les vivaces. On peut les travailler en camaïeux, ou en contraste, en masse ou en mélange. Je ne vous donnerai pas mes recettes d’association, chacun est libre d’expérimenter, c’est ce qui est formidable.
Une quatrième raison c’est leur coût. Un godet de 9cm en pépinière pro (j’ai bien dit en pépinière, pas chez Truffaut) coûte entre moins d’un euro et quatre euros environ, selon les variétés. Par rapport aux autres végétaux comme les arbres et arbustes, cela représente un risque moindre si la plante meurt, et donc cela encourage à l’expérimentation, dont je viens de parler. En d’autres mots, les vivaces sont ludiques, parce qu’elles sont bon marché.
Enfin, et c’est complémentaire à leur faible coût, je suis folle de leur vitesse de croissance. Un projet de jardin qui laisse de la place aux vivaces, c’est l’assurance de voir la magie opérer en quelques mois. La plupart d’entre elles doublent ou triplent de volume la première année, ce qui, pour les propriétaires et pour nous autres jardiniers, représente une gratification quasi immédiate, faisant oublier le temps de pousse parfois asthmatique des autres plantes, comme par exemple celui des arbustes persistants !
Bref, beaucoup de qualités, les vivaces ! Les paysagistes hollandais comme Piet Oudolf ou Jelle Grintjes qui pratiquent la Dutch Wave l’ont bien compris. Ils utilisent les vivaces avec un savoir, une connaissance et une jubilation qui crée des ambiances champêtres incroyables.
La vérité?
Alors qu’en est-il alors de cette mauvaise réputation? La tâche du désherbage est-elle vraiment rendue impossible avec la présence des vivaces? Y a-t-il beaucoup de pertes auprès quelques années? Est-ce ça vaut le coup de planter ces petites choses moins robustes, plutôt que de s’en tenir à la gamme arbustive, toujours visible même en hiver?
Voici notre retour d’expérience, après 18 ans de création de jardins.
Oui, nous confirmons, le travail de désherbage est plus délicat, et parfois plus chronophage, puisque la majorité des vivaces sont complètement en concurrence avec les adventices, contrairement à la plupart des arbustes et des arbres. Il faut privilégier des compositions différenciées, et utiliser les vivaces dans les endroits proches de la maison, et dans une terre bien préparée et surtout bien paillée. Le recours aux vivaces nombreuses est à éviter pour les propriétaires qui ne mettront jamais les mains dans la terre (oui, ils existent).
Oui, c’est vrai, elles donnent au jardin un petit air échevelé qui ne va pas à tout le monde. Maniaques s’abstenir. A moins d’utiliser celles qui ont un port compact plutôt que celles qui font 1m50 et s’affaissent à la première pluie. Moi j’adore ça, les asters qui se couchent, je trouve ça romantique en diable, mais tout le monde n’a pas l’air du même avis.
Oui, nous avons pu observer que certaines vivaces ne se remettent pas d’un hiver ou d’un printemps trop pluvieux, des hordes de limaces, ou de terrains rendus lourds par les précipitations. Il y en a toujours une certaine (petite) proportion qui disparaissent au bout de quelques années, arrachées par mégarde, confondues avec une mauvaise herbe, grillées au soleil précoce, ou simplement ne se plaisant pas là où on les a mises. Les vivaces font effectivement moins bon ménage avec le ballon de foot que le fusain japonais. Mais cette petite déception fait partie de l’apprentissage de l’humilité au jardin, et est largement compensée par le fait de pouvoir diviser les espèces qui ont pris trop de place, pour combler les trous éventuels.
Oui, avouons-le, pour un paysagiste, travailler avec les vivaces demande plus de temps en conception, plus de concentration, et, il me semble, plus de connaissances ou d’expérience. Il existe énormément de variétés, beaucoup de styles différents, certaines avec des contraintes. Il faut expérimenter tout cela, être curieux d’apprendre, et cela prend des années pour maîtriser la palette. En cela, nos injonctions modernes de productivité et de chiffre d’affaires ne font pas forcément bon ménage avec les coreopsis et les thalictrums. Au tarif horaire, il vaudra mieux imaginer planter un énième érable du Japon.
Notre conclusion
En bref, ne nous voilons pas la face, intégrer des vivaces dans nos projets a des conséquences, et donne raison aux plus frileux, à ceux qui n’ont pas le temps, et aux nombreux fanatiques du risque zéro. Mais pour autant, les jardins qui font la place belle à cette catégorie végétale sont incroyablement gratifiants, réjouissants, passionnants. Ce sont des tableaux en mouvement, des moments de poésie, des émotions arrachées à nos vies répétitives. Les vivaces sont cette nature plus gracile, féminine, et dont la renaissance reste pour nous, humains, toujours un peu mystérieuse.